PARIS – Maitre de conférence à Paris 8, Engin Sustam déclare que les Kurdes ressentent de l’anxiété et de la méfiance et ajoute que l’État continue à éviter de solutionner la question par le biais de la loi.

Le sociologue Engin Sustam a déclaré à l’ANF que les Kurdes étaient sincères dans leur demande de paix et a souligné que l’opinion publique turque devait s’impliquer davantage dans ce processus. Il a fait remarquer que la guerre et la propagande fasciste avaient empoisonné plusieurs générations.
Sustam a souligné que, dans la nouvelle phase, la propagande du pouvoir fondée sur le nationalisme turc doit être démantelée. Il a affirmé qu’un effort politique est nécessaire, notamment en faveur des pauvres, contre tous les discours fascistes, sachant que les Kurdes comme les Turcs portent de profonds traumatismes.
Ceci est la troisième partie de cette longue interview. La première partie est disponible ici et la deuxième là.
Les deux parties évoquent la possibilité d’un sabotage du processus. Qui pourrait le saboter et que peut-on faire pour l’empêcher ?
Si l’on y prête attention, ceux qui désirent le plus la violence dans ce processus sont les structures militaristes qui en ont profité, certains acteurs et une frange dominante blanche et raciste qui continue de s’exprimer d’en haut. Ces groupes cherchent délibérément à provoquer le chaos. Ce qu’ils souhaitent, c’est la poursuite de la guerre, par peur de perdre leurs positions. Ils se nourrissent de violence et de haine comme des monstres sanguinaires. En fin de compte, la menace la plus dangereuse pour ce processus est le retour au langage de la guerre.
Au lieu de construire des avant-postes militaires ou des murs à chaque frontière, au lieu de stocker des armes, ce qui est véritablement essentiel aujourd’hui est la légalisation d’un langage de paix capable de faire tomber tous les murs sociaux. C’est une étape fondamentale. Ce qui est nécessaire, c’est la construction de la paix sociale, le démantèlement complet du militarisme au Kurdistan et la pacification complète de l’espace public.
Pour qu’un processus démocratique fonctionne, la révocation des administrateurs nommés par l’État et le retour des municipalités au Parti pour l’égalité et la démocratie des peuples (DEM) sont essentiels. Ces mesures pourraient également ouvrir des perspectives de démocratisation de la Turquie et de libération du racisme et du fascisme. Cela inclurait la libération du maire d’Istanbul, Osman Kavala, et des personnes emprisonnées dans l’affaire du parc Gezi, contribuant ainsi à la sincérité de la reconstruction démocratique.
Il est profondément attristant que près de deux siècles et demi se soient écoulés depuis l’émergence du concept de contrat social par Rousseau. Pourtant, nous devons encore rappeler à l’État turc son devoir envers ses citoyens, surtout alors que nous avons, juste à côté de nous, un extraordinaire contrat social démocratique au Rojava. Plutôt que d’emprisonner des dissidents, plutôt que de prendre des personnes en otage en raison de leur langue ou de leur identité, l’État, en tant qu’institution, doit remplir son rôle régulateur.
Inclure le public turc dans le processus semble être une nécessité urgente
Écoutez, quand on examine ce qui se passe aujourd’hui en Syrie, on constate les conséquences de l’autoritarisme pendant et après la dictature d’Assad. Le gouvernement intérimaire actuel est presque entièrement composé de groupes racistes et criminels de guerre. Ces factions nourrissent des ambitions dictatoriales, assez proches de celles de l’ère Assad.
Si l’on considère les massacres et les attaques visant les Alaouites et les Druzes aujourd’hui, ou les menaces constantes dirigées contre les Kurdes, ou plus précisément, l’utilisation persistante d’un langage menaçant contre toutes les minorités, ainsi que la poursuite de la politique de la Ceinture arabe et le mépris flagrant des droits des femmes, on comprend clairement combien il est dangereux d’insister sur une structure unitaire, et comment une telle insistance peut mener une région à la destruction. Cela a été vrai dans les deux phases.
Cela montre que les pratiques démocratiques ne viennent pas de l’État ; elles sont façonnées par la rue et le peuple. Ce processus doit donc impliquer une civilarisation complète de l’État, la démocratisation des institutions et la purification de l’appareil d’État des politiques racistes et sectaires.
Prendre des mesures de démocratisation en s’appuyant uniquement sur les Kurdes et en faisant reposer le fardeau de la paix sur leurs seules épaules revient en réalité à détourner le problème. Le véritable risque réside dans la question suivante : que se passera-t-il si l’État refuse d’abandonner son emprise autoritaire sur le pouvoir ? Une nouvelle guerre ? Ce serait catastrophique, une voie sans retour.
Pour éviter cela, la question kurde doit dépasser les frontières des Kurdes et trouver sa place au sein de la société turque. Le peuple kurde est déjà conscient du processus et observe la phase de désarmement avec prudence, fort de sa propre force organisée. C’est pourquoi il est nécessaire de soustraire la question de la paix, devenue un instrument de chantage aux mains de l’État, à son emprise et d’en faire un enjeu social. Parallèlement, l’opinion publique turque doit être impliquée dans ce processus. Déconstruire la question kurde des contextes de « terrorisme », de conflit et de haine, et l’ancrer dans un nouveau processus politique, apparaît comme une nécessité urgente.
Contrairement à de nombreuses analyses erronées, le mouvement politique kurde a ouvert la voie non seulement aux Kurdes, mais aussi à d’autres sociétés du monde. Depuis le milieu des années 1990, il a introduit non seulement les pratiques classiques de la guérilla, mais aussi des débats fondés sur l’écologie, l’humanité, le féminisme et la proximité avec la nature. Le slogan « Jin, Jîyan, Azadî » (Femme, Vie, Liberté), aujourd’hui central au sein du mouvement féministe mondial, puise ses racines dans les débats au sein du mouvement des femmes kurdes des années 1990.
Franchement, rompre avec les pratiques dures, centralisées et militaristes du stalinisme et du maoïsme n’est pas chose aisée. Mais dans ce cas précis, ce sont surtout les femmes et les jeunes qui ont transformé de l’intérieur la dynamique idéologique du mouvement. Concrètement, les modèles de coopération civile au Rojava, ou les structures de gouvernance municipale, peuvent servir d’exemples. Le Mouvement pour la liberté du Kurdistan, en ce sens, est peut-être la seule force qui insiste davantage sur une voie socialiste que de nombreuses expériences de gauche en Turquie et au Kurdistan, et il a réussi à tisser des liens plus étroits avec les mouvements internationalistes.
Nous parlons ici d’une tradition, d’une structure, qui entretient aujourd’hui des relations fortes avec les dynamiques antisystémiques de l’Amérique latine à l’Asie de l’Est, de l’Afrique à l’Europe et dans tout le Moyen-Orient.
Tout le monde se demande si l’opinion publique turque est prête à accepter le nouveau processus. Mais personne ne parle de l’opinion des Kurdes, qui vivent dans un pays déchiré par la guerre depuis plus de 50 ans. Qu’est-ce qui attend les Kurdes et que faut-il faire ?
En réalité, il ne s’agit pas seulement de cinquante ans. Si l’on considère le contexte colonial remontant à l’Empire ottoman, on parle d’une période bien plus longue. Quant à la question de savoir ce que veulent ou pensent les Kurdes, je crois que la réponse est claire. Le véritable problème semble résider dans une partie importante de la société, sans vouloir généraliser, qui refuse encore de l’accepter. Une partie qui refuse de reconnaître le droit des Kurdes à définir leur existence selon leurs propres termes et qui ne parvient pas à se libérer du tourbillon de la turcité et de l’identité sunnite.
Autrement dit, comme les Alaouites (ou alévis), les Kurdes exigent que personne ne prenne de décisions à leur place, ne parle en leur nom et n’interfère dans leurs espaces de vie. Car la liberté appartient à leur propre corps. Bien sûr, les cinquante dernières années sont particulièrement significatives, car elles marquent une période où le tissu social entre Kurdes et Turcs a été profondément déchiré. D’un côté, nous avons les mécanismes de violence négationnistes et répressifs de l’État ; de l’autre, les pratiques de contre-violence anticoloniale du mouvement kurde ont contribué à créer un climat de peur et de haine. Il n’est donc pas facile de répondre à cette question.
Quel combat faut-il alors mener ? D’un côté, il s’agit de convaincre une opinion publique nourrie de paranoïa, de militarisme et de pathologies racistes. À cet égard, la gauche, les intellectuels et les démocrates turcs ont une immense responsabilité.
Mais d’un autre côté, nous parlons du monde kurde, élevé sous la pression du racisme, de la politique de haine et même d’une culture du lynchage ; façonné par la violence coloniale, la résistance et le traumatisme collectif. Et ce sont précisément eux qui sont les plus fervents défenseurs de la réconciliation. C’est pourquoi, pour répondre à cette question, je dirais que nous devons également attendre et observer l’évolution de ce processus.
L’inquiétude règne parmi les Kurdes et l’État n’offre toujours aucune garantie
Nous sommes confrontés à une spirale de violence qui s’étend sur plus de huit générations. Pour mettre fin à ce cycle et affronter un siècle de discours haineux, des « bandits kurdes » aux « terroristes kurdes », un discours raciste immuable, il faut adopter une position antiraciste et antifasciste radicalement différente. Malgré tout, je dois dire qu’il s’agit d’une décision historique, qui pourrait ouvrir la voie à une politique démocratique et civile.
Je dis « malgré tout » car le processus de militarisation en cours demeure l’un des instruments les plus actifs du traumatisme social et doit enfin être démantelé. Permettez-moi d’ajouter que nous devons également reconnaître l’hésitation et la méfiance justifiées des Kurdes envers l’État, et comprendre la confusion qu’ils éprouvent dans les différents espaces politiques.
Le colonialisme et la question kurde, qui perdurent depuis plus d’un siècle, sont comme une bombe à retardement placée sous nos yeux, un héritage de violence que nous devons affronter et démêler. Nous ne pouvons oublier les massacres de Suruç et de la gare d’Ankara en 2015. Aujourd’hui, le nationalisme ultra-turc, les généraux kémalistes à la retraite et le racisme turc alimentent une culture du complot, rendant ce sujet difficile à aborder et aggravant les blessures causées par les discours de haine.
C’est pourquoi le malaise et la méfiance règnent parmi les Kurdes suite à la décision de désarmement, car l’État n’a toujours pas offert de véritables garanties. Il continue d’éviter d’aborder la question par le biais de cadres juridiques. Et, comme vous en conviendrez, il est clair que la partie kurde n’est pas seule concernée par ce problème. L’autre partie est l’opinion publique turque, qui reste empêtrée dans un nationalisme extrême et une paranoïa. Cela signifie que nous devons désormais privilégier le langage, le dialogue et une approche ouverte au compromis sur certaines positions.
Dans une société où l’univers émotionnel du nationalisme extrême est omniprésent, nous devons nous demander comment construire un espace démocratique où les différentes voix politiques et le désir de paix peuvent s’exprimer ouvertement. Cela ne peut se faire sans affronter l’héritage de 1915 et du génocide arménien, sans se souvenir de cette histoire (et maintenant, on me traitera moi aussi de « crypto-Arménien »), ni sans reconnaître la paranoïa et la réactivité ultra-raciste engendrées par la structure technocratique et kémaliste de 1923. La réponse réside dans des efforts concrets pour organiser la paix.
Tant que nous continuerons d’assister à des attaques contre la musique publique kurde, à l’emprisonnement de dizaines de maires élus sous tutelle, aux sanctions infligées aux étudiants, aux politiciens kurdes et aux autres dissidents ; tant que la République ne parviendra pas à surmonter ses phobies ; tant que le kurde ne sera pas reconnu comme langue maternelle et normalisé dans le cadre du processus de paix ; et tant que l’État continuera de stigmatiser ses propres dissidents, les risques resteront omniprésents. Car la question kurde représente non seulement la libération d’un peuple, mais aussi la construction d’une vie radicalement démocratique dans ce pays.
Je préfère ne pas lire ceci à travers des références historiques, mais plutôt à travers les espaces démocratiques de vie commune qu’il faut construire aujourd’hui. Et il ne s’agit pas de ces généraux fascistes à la retraite, haineux et amers, qui continuent de résister à la paix, mais bien des vestiges militaires et autoritaires du régime de tutelle civile hérité du passé. Bien sûr, d’autres risques géopolitiques entrent également en jeu.
Je crois néanmoins que le mouvement kurde est l’une des rares forces politiques à avoir analysé avec précision la conjoncture actuelle au Moyen-Orient et à s’être positionné en conséquence. Cela contribue également à la décision de désarmer et de créer un espace pour une politique civile démocratique. C’est pourquoi ce processus, aussi risqué, incertain et fragile soit-il, progresse grâce à la force des acteurs qui ont combattu et sont désormais prêts à déposer les armes. Il avance grâce à l’engagement émotionnel révolutionnaire d’un camp et à l’espoir.
Alors, les Turcs abordent-ils toujours la question avec une mentalité coloniale, évitant de véritables conversations sur ce que veulent les Kurdes et pourquoi ils prônent la paix ?
Si vous me le permettez, permettez-moi de conclure cette réflexion avant de revenir à la question : « Que veulent les Kurdes ? » Je pense que ce qui suit est étroitement lié à cette question. L’opinion publique turque doit, au-delà de réciter quotidiennement son serment nationaliste, commencer à construire une politique de vivre ensemble avec les Kurdes qui revendiquent une géographie et une vie communes. Cela implique d’embrasser la paix et le dialogue avec courage, sans prêter attention aux acteurs racistes.
Cela signifie également que l’ensemble du système éducatif et des programmes scolaires doivent être démilitarisés et purgés de tout racisme. Tout langage faisant référence à une seule identité ethnique ou à une religion dominante doit être supprimé des manuels scolaires. Une approche pédagogique alternative et institutionnelle doit être mise en place pour ouvrir la voie à un nouveau récit de la Turquie, un récit qui permettra au processus de paix d’être véritablement efficace.
En d’autres termes, si l’enseignement en langue kurde est autorisé mais qu’un enseignement autoritaire, sexiste et raciste perdure, il ne s’agira pas de dialogue social, mais de la persistance d’un autoritarisme d’État. La question kurde doit être abordée sous un angle antiraciste. Résoudre la question kurde implique de démilitariser le secteur, de démocratiser l’éducation par la pédagogie, d’éliminer le patriarcat et d’ancrer le programme scolaire dans un socle antiraciste.
Il est clair que les intellectuels turcs portent aujourd’hui la responsabilité, risquée mais vitale, de transmettre la paix à la société et de contribuer à sa construction. Si ces questions ne sont pas abordées maintenant, par une position antiraciste courageuse, quand le seront-elles un jour ? La gauche turque, qui vit depuis longtemps dans un contexte de coups d’État, de violence et de racisme, doit désormais abandonner son ton hiérarchique et son habitude de parler avec condescendance, et commencer à expliquer ce processus de manière percutante et accessible.
Contribuer à la résolution de la question kurde et à la construction de la paix sociale contribuera également à la paix dans tous les secteurs de la société. Car ce processus, cette économie de guerre, détruit avant tout les foyers des travailleurs et des pauvres. En réalité, la paix est aussi une question de classe. Elle contribuera à la création d’une économie du travail commune.
Dans les médias grand public, personne ne parle vraiment des Kurdes
Depuis la fin de la lutte armée, personne ne semble parler des Kurdes. Tout le monde se concentre sur les préoccupations de l’opinion publique turque, mais les médias grand public ne s’intéressent pas à l’opinion des Kurdes sur cette question. Personne ne se demande pourquoi les Kurdes sont inquiets.
Laissez-moi vous dire ceci : ce que les Kurdes savent le mieux, c’est se sentir mal à l’aise. Des générations d’entre nous, moi y compris, ont été éduquées chaque matin sous l’ombre du serment nationaliste, et chaque soir avec l’hymne national. Pour les Kurdes, c’est une source de profond traumatisme. Et à l’instar des élèves arméniens et alaouites contraints de suivre un enseignement religieux centré sur la mosquée, d’autres communautés ont également vécu ce programme autoritaire, raciste et exclusif comme un générateur de traumatisme collectif. Il faut remettre cela en question.
C’est pourquoi les peuples rarement reconnus en Turquie, ceux qui sont traités comme des étrangers, sont toujours inquiets. Pour que la Turquie devienne une société véritablement démocratique, inclusive et pluraliste, ces discussions doivent être menées plus ouvertement et avec plus de fermeté. Sinon, tant que le journalisme et la gouvernance resteront dépendants du concept de « terrorisme », ce problème ne sera pas résolu et s’aggravera encore davantage.
Et au lieu de demander directement aux Kurdes ce qu’ils veulent, certains continuent de s’appuyer sur des voix façonnées par la paranoïa nationaliste de l’identité turque. Certains médias, comme A Haber, ou l’élite laïque des « Turcs blancs », présentent encore le problème en termes de « terrorisme » et de « séparatisme », mais un tel cadrage n’a aucun sens dans la région.
Ce processus marque clairement une rupture non seulement avec des racistes comme Yılmaz Özdil, Tanju Özcan et Ümit Özdağ, mais aussi avec des figures de la région kurde comme Mehmet Metiner et Şamil Tayyar, qui se sont taillé une place grâce à des réseaux clientélistes et opportunistes. Il marque également le déclin de nombreux autres écrivains et personnalités publiques toxiques dont les plateformes ont longtemps reposé sur la rhétorique de guerre et les récits victimaires.
Ces chiffres ont non seulement bloqué le progrès, mais ont, à vrai dire, contribué à créer la génération hyperparanoïaque que nous connaissons aujourd’hui. Le sentiment anti-kurde flagrant observé lors de récents rassemblements anti-AKP était loin d’être encourageant. L’ascension sociale d’une structure aussi profondément raciste n’est rien d’autre qu’une invitation au fascisme. Comme l’a dit un jour le psychiatre Wilhelm Reich à propos des nazis : « La théorie raciale n’est pas l’invention du fascisme ; au contraire, le racisme est le fondement psychologique qui donne naissance au fascisme. »
C’est pourquoi la réconciliation devient quasiment impossible dans les couches sociales qui n’ont pas pris en compte le racisme. Une sorte de pathologie masochiste est à l’œuvre dans ces segments de la société, qui ne s’intéresse pas à ce que veulent les Kurdes, mais à ce qu’ils désirent eux-mêmes à travers leur propre haine.
Certes, des changements intéressants ont été observés tant au sein du Parti républicain du peuple (CHP) que du Parti d’action nationaliste (MHP), d’extrême droite, qui ont joué un rôle majeur dans le déclenchement de cette crise. Mais si l’on s’intéresse à la mémoire historique, l’héritage du fascisme et l’insistance persistante sur le kémalisme ne sont guère rassurants.
Les Kurdes veulent avant tout la reconnaissance de leur existence
Les Kurdes aspirent à la liberté, mais surtout à la reconnaissance de leur existence, peut-être comme condition préalable. Ils veulent être éduqués dans leur langue maternelle, pouvoir s’exprimer librement et démocratiquement dans l’espace public, avoir leur mot à dire sur les questions qui les concernent et voir disparaître les noms, slogans et discours nationalistes imposés sur leurs montagnes et leurs plaines. Ils veulent cesser d’être contraints de dire « qu’il est heureux celui qui dit ‘je suis turc’ » chaque matin ou chaque soir.
La décolonisation signifie guérir une région, sa mémoire culturelle et sa langue de toute forme de domination coloniale. Il est clair que les Kurdes exigent que tous ces éléments soient garantis constitutionnellement. La question ne doit plus être abordée avec une politique de temporisation ou de dilution, comme par le passé. Elle doit être prise au sérieux. La reconnaissance et la prise en compte sont les fondements du partenariat, et nous discutons déjà de la manière dont ces droits doivent être garantis constitutionnellement.
La région doit être démilitarisée, non pas par la multiplication des avant-postes, des murs frontaliers, le renforcement des troupes ou une militarisation accrue, mais par un processus démocratique ouvrant la voie à une politique humaine et centrée sur la vie. La constitution doit être démocratisée. Le racisme doit être criminalisé. Les revendications des Kurdes ne doivent pas être craints, mais protégés par un cadre juridique constitutionnel inclusif et démocratique.
Pour parler franchement, ce processus nécessite l’émergence d’une puissante dynamique sociale antiraciste en Turquie. Cela pourrait donner un véritable élan à ce problème. Car ce à quoi nous assistons aujourd’hui au Kurdistan n’est pas seulement un colonialisme classique. C’est aussi une assimilation intense (suppression de la langue kurde, interdiction des activités culturelles), une exploitation économique, une destruction écologique, une pauvreté, un traumatisme collectif et une violence militarisée et patriarcale visant les femmes et les enfants.
De nombreuses générations en Turquie ont été empoisonnées par la haine
Bien sûr, nombre de ces propositions ne constituent que des premières étapes à grande échelle. Le véritable travail commence ensuite. L’un des piliers de la paix sociale est l’instauration de la justice : justice pour les Mères du samedi, pour les enfants tués, comme à Roboski et pour Uğur Kaymaz, pour Taybet Ana, pour les victimes de féminicides, pour celles et ceux qui ont perdu la vie à Suruç, lors du massacre de la gare d’Ankara, et bien d’autres.
D’autre part, comme vous le savez, de nombreuses générations en Turquie ont été empoisonnées par la haine, le racisme et le nationalisme extrême. La plupart d’entre elles vivent aujourd’hui une forme de paranoïa collective. Les groupes d’extrême droite comme le Parti de la Victoire agissent comme des interprètes assermentés de la haine, diffusant constamment une propagande pour entretenir la haine sociale et l’hostilité envers les Kurdes et les migrants.
Le racisme n’est toujours pas reconnu comme un crime en Turquie. Cela montre que la paix sociale doit être recherchée avec courage et que le racisme doit être constitutionnellement défini comme un crime. Ce n’est qu’à cette condition que des mesures efficaces pourront être prises contre les politiques xénophobes.
Le racisme doit désormais être traité comme une infraction pénale. Cela permettrait également à la Turquie de commencer à guérir de sa profonde mémoire d’extrême droite et ultranationaliste. (ANF)