Par Ragip Duran
L’arrestation le 19 mars du maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, principal rival du Président Erdogan pour les élections de 2028 a eu un effet boomerang contre le régime du Palais. Les grands meetings politiques avec la participation de millions de citoyens mécontents n’ont pas été bien accueillis par le pouvoir. « Vous semez le désordre », « Vous êtes tous des vauriens!», « La loi vous punira! », « La rue n’est pas l’endroit de l’expression démocratique », disent les porte-paroles d’Erdogan.
La principale formation de l’opposition, le CHP (Parti Républicain du Peuple, fondé par Atatürk) organise l’ensemble des actions pour affaiblir le pouvoir, désire l’organisation des élections anticipées. Ce parti a pris la décision d’organiser un grand meeting tous les samedis dans différentes villes d’Anatolie.
Par ailleurs, le président Ozgur Ozel du CHP a réussi à organiser un mouvement de boycott le 2 avril dernier contre les sociétés proche d’Erdogan. Plus de 70% des citoyens ont participé au boycott selon le CHP. Paradoxe actuel, la majorité des citoyens n’ont plus désormais assez d’argent pour faire des achats même les plus élémentaires.
Ce boycott a bien touché la cible : Erdogan lui-même et plusieurs autres représentants du pouvoir ont violemment critiqué ce mouvement de masse: « Vous voulez détruire l’économie turque! », « Vous désirez voir les petits et grands commerçants faire faillite! », « Vous serez sanctionnés! », ont-ils rétroqué.
Les appels au boycott prononcés par Erdogan, quand il était dans l’opposition, c’est-à-dire avant 2002, circulent sur les réseaux sociaux.
Les procureurs du régime ont ouvert une information contre plus de 50 personnes qui, sur la Toile, appelait au boycott, y compris des actrices et acteurs des séries télévisées populaires.
Ce boycott d’une seule journée contre plus de 30 sociétés dont les noms ont été annoncés par le CHP peut être repris dans les jours à venir.
Plusieurs autres méthodes de lutte contre la dictature, des actions de désobéissance civile sont à l’ordre du jour de l’opposition. Par exemple la Grève Générale. Cette option n’est pas, selon la majorité de la classe politique, réaliste et faisable, car la classe ouvrière turque n’a pas une culture et tradition de grève et de plus une partie des travailleurs est sous le contrôle des syndicats pro-Erdogan.
Certains parlent d’un boycott des impôts, mais la grande partie des milieux d’affaires ont peur de s’opposer contre le régime. Car ce dernier peut très facilement nommer un administrateur à la place des PDG de ces sociétés et holdings.
Erdogan, qui voit la montée du mécontentement, essaie maintenant de diviser le front de l’opposition. Il continue à donner de l’espoir aux Kurdes au sujet de la soi-disant solution pacifique du problème kurde. Ces deux ailes de l’opposition, à savoir les Turcs de l’opposition et les Kurdes, n’arrivent toujours pas à réunir leurs forces et énergies contre le régime. L’anti-kurdisme d’une grande partie des Turcs et le nationalisme pro-Ocalan [sic!] des Kurdes obligent ces deux forces à se tenir loin l’un de l’autre.
Enfin, le débat sur la vraie nature du régime d’Erdogan commence à être plus clair. Des idéologues, théoriciens de rue parlent « d’une démocratie illibérale » ou bien d’une avancée « vers une autocratie non-compétitive », c’est-à-dire de type Poutine. Plusieurs représentants de l’opposition admettent enfin qu’il s’agit d’une dictature pure et dure et que l’existence théorique de la probabilité de l’organisation des élections n’est pas du tout un acquis déterminant. « Il ne sert à rien aujourd’hui de parler de la loi, du droit, de la Constitution voire des élections. Car ces piliers de la démocratie n’existent plus en Turquie depuis longtemps. La démocratie turque n’est pas malade. Car les morts ne tombent jamais malades », estime le Prof. Cengiz Aktar, de l’Université d’Athènes.
Ragip Duran, TVXS, 7 avril 2025