Dans des sociétés en conflit, la figure du martyr occupe une place centrale, tant dans la mémoire collective que dans les stratégies politiques. Chez les Kurdes, cette sacralisation joue un rôle essentiel, mais elle est aussi parfois utilisée pour légitimer des formes d’oppression, restreindre les libertés et renforcer des structures autoritaires.
Un devoir de mémoire ou un outil de contrôle ?
La lutte kurde, marquée par des décennies de résistance contre des États répressifs comme la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie, a produit un grand nombre de martyrs, perçus comme des symboles de la cause nationale. La mémoire de ces combattants tombés est entretenue par les mouvements politiques kurdes et leurs partisans, qui y voient une source de motivation et d’unité.
Cependant, cette sacralisation peut aussi être instrumentalisée. Dans certains cas, elle devient un outil de contrôle social et politique. Toute critique interne ou divergence idéologique peut être perçue comme une trahison envers le sacrifice des martyrs. Certains partis ou groupes imposent ainsi une vision homogène du combat kurde, empêchant toute remise en question de leurs stratégies ou de leur leadership.
Une justification à l’autoritarisme
Dans certains mouvements, la référence aux martyrs est utilisée pour justifier des pratiques autoritaires. L’argument du « le chemin des martyrs » sert à imposer une discipline stricte, restreindre la liberté d’expression et limiter la diversité d’opinions au sein même du mouvement kurde. Cela peut conduire à une centralisation excessive du pouvoir et à une marginalisation des voix critiques, sous prétexte de préserver l’unité et l’héritage des martyrs.
De plus, les États oppresseurs exploitent cette sacralisation pour justifier leur propre répression. En Turquie, par exemple, toute référence aux martyrs kurdes est criminalisée, assimilée à l’« apologie du terrorisme ». Les familles des combattants tombés sont souvent persécutées, leurs tombes détruites et leur mémoire effacée des espaces publics.
Un équilibre à trouver
Si la mémoire des martyrs kurdes est un élément fondamental de la lutte pour la reconnaissance et la liberté, elle ne doit pas devenir un prétexte pour étouffer le débat et la diversité des idées. L’histoire kurde montre que l’unité ne se construit pas dans la rigidité autoritaire, mais dans une capacité à intégrer différentes visions du combat pour l’émancipation.
Ainsi, la véritable question reste: comment honorer les martyrs sans que leur mémoire ne soit instrumentalisée au détriment des libertés et de la démocratie au sein du mouvement kurde lui-même ?
Texte signé par la Plume de la montagne
*La publication des textes de la Plume de la montagne ne signifie pas nécessairement que le site Kurdistan au féminin partage systématiquement l’avis exprimé