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Appel à juger les crimes commis par la Turquie et ses gangs ainsi que le régime d’Assad en Syrie

PARIS – La Fondation Danielle Mitterrand exhorte la communauté internationale à juger les crimes de guerre commis par le régime d’Assad et la Turquie ainsi que ses mercenaires syriens pour une Syrie libre.

Voici le communiqué de la Fondation Danielle Mitterrand publié le 7 février 2025:

«Pour une Syrie libre, défendre le Rojava/NES et juger les crimes de la Turquie, de l’Armée Nationale Syrienne et du régime d’Assad»

Alors que se déroule à Bruxelles la session du Tribunal Permanent des Peuples «Rojava VS. Turquie» les 5 et 6 février, la Fondation Danielle Mitterrand réaffirme son soutien à la lutte du peuple kurde et de tous les peuples de la région du Rojava (Kurdistan syrien) et du Nord et de l’Est de la Syrie, et la nécessité de juger les crimes de la Turquie, de l’Armée Nationale Syrienne (ANS) et du régime de Bachar al Assad.
 

Depuis la chute historique du régime sanguinaire et totalitaire de Bachar al Assad le 8 décembre 2024, la guerre n’a pas cessé en Syrie. L’espoir d’une transition démocratique, basée sur la justice et l’implication de toutes les composantes du peuple syrien, ne peut pas se réaliser sans assurer un cessez-le-feu, exiger le retrait des forces d’occupation étrangère, et faire appliquer la justice et le droit international.

Israël a massivement bombardé et envahi le sud du pays. Au Nord-Est, la Turquie et ses milices islamistes coalisées dans une soi-disant « Armée Nationale Syrienne » continuent d’attaquer sans relâche les populations et les Forces Démocratiques Syriennes défendant la région du Nord et de l’Est de la Syrie après avoir combattu Daech aux côtés de la coalition internationale. La menace de l’invasion terrestre de Kobanê est toujours imminente.

Depuis un mois et demi, de violents affrontements se concentrent autour du barrage de Tishrine et du pont de Qereqozak, portes d’entrées vers la rive Est de l’Euphrate et la région de Kobanê. Plusieurs dizaines de personnes sont décédées en défendant le barrage, dont dépendent la fourniture en électricité et en eau potable de la population. La Turquie et l’ANS bombardent de manière indiscriminée des convois de civils venu·es manifester sur la zone. Elle a assassiné deux journalistes venus couvrir le conflit. Elle a bombardé plusieurs écoles dans les environs, tuant au moins 11 enfants. Des centaines de milliers de déplacé·es (dont certain·es l’ont été de multiples fois) survivent dans le reste du NES, dans des camps et abris de fortunes, dans des écoles, survivant avec très peu d’assistance en plein hiver. Chaque jour de nouveaux crimes s’ajoutent à la liste.

M. Erdogan et ses affidés renforcent leurs visées expansionnistes et néo-ottomanes sur la Syrie. Le président turc a déclaré que « Alep aurait pu être turque ». M. Trump a emboîté le pas en déclarant que « la Turquie a été en Syrie sous différents noms et formes depuis 2000 ans ». Tout en plaidant hypocritement pour « l’intégrité de la Syrie », la Turquie renforce son rôle de parrain et de « cabinet de conseil » du nouveau pouvoir du HTS à Damas. Elle place ses hommes partout où elle peut dans le nouvel appareil gouvernemental syrien. Elle pousse pour l’intégration des brigades islamistes de l’ANS qu’elle contrôle à la future armée syrienne.

La Turquie veut étendre son contrôle sur la Syrie à l’instar de sa domination dans les zones occupées, où flotte le drapeau turc, des cours de turc dans les écoles, le droit turc dans les tribunaux et la livre turque pour le commerce, etc.

La session du Tribunal Permanent des Peuples de Bruxelles a démontré implacablement que l’action de la Turquie et de ses milices de l’ANS s’inscrit dans un système de domination et de destruction du peuple kurde entamé depuis près de 10 ans en Syrie, mais aussi en cours au Kurdistan de Turquie et d’Irak. Les exactions sont innombrables. Elles sont documentées à la fois par l’ONU, des ONGs comme Amnesty International ou Human Rights Watch.

A Afrin depuis 2018, dans les régions de Tell Abyad et Serekanye depuis l’opération d’octobre 2019, dans toutes les zones bombardées en continu depuis, la Turquie et l’ANS appliquent les mêmes méthodes. Assassinats extrajudiciaires de civils (plus de 784 à Afrin), détentions arbitraires y compris dans des prisons tenues secrètes, tortures, sévices physiques et viols, ciblage spécifique des femmes (assassinats par drones, viols, mariages forcés), bombardements délibérés d’écoles et d’enfants, usage de munitions chimiques au phosphore blanc, saisie de maisons, de terres et de propriétés, persécution des composantes de la société (kurdes, syriaques, arméniennes, chrétiennes, etc), kidnappings (plus de 9000 à Afrin), pillages, destruction de cimetières et de sites archéologiques et mémoriels, bombardements d’infrastructures (hôpitaux, centres de santé, silos à grains, station de pompage d’eau, infrastructures énergétiques, etc), utilisation de l’eau comme arme de guerre, nettoyage ethnique et ingénierie démographique pour installer des nouvelles populations, « turquification » des zones occupées. Afrin, une région historiquement peuplée à 85% de kurdes, n’en compte plus que 25%.

Cette liste de crimes décrit une politique systématique visant à l’annihilation du peuple kurde. La domination Turquie-ANS dans les zones occupées est un cauchemar criminel qui se déroule depuis des années dans un silence politique international scandaleux. Tout cela doit cesser. La Turquie doit se retirer de la Syrie. Ses crimes doivent être reconnus et jugés par des tribunaux internationaux. L’ANS doit être démantelée dans toutes ses brigades, ses crimes jugés tout comme ceux du régime d’Assad. La justice doit s’appliquer à toutes et à tous.

Malheureusement le nouveau pouvoir syrien ne prend pas ce chemin. Le 29 janvier 2025, Hatim Abu Shaqra, chef du groupe Ahrar al-Sharqiya, participait  à la « Conférence de la victoire » de Damas intronisant Ahmed al-Sharaa comme président par intérim du pays. C’est l’un des responsables de la brigade ayant commis – et filmé pour diffusion internationale – le féminicide barbare de la femme politique Hevrîn Khalaf, responsable du Parti de la Syrie Future, le 12 octobre 2019, lors de l’opération d’invasion perversement nommée « Printemps de la Paix ». Les contacts entre l’ANS et le HTS sont quotidiens. Ahmed al-Sharaa, était récemment en voyage en Turquie. Malgré des discours lisses, les signaux envoyés par le nouveau pouvoir sont inquiétants.

Les déclarations des FDS et des organes politiques du NES sont, elles, très claires sur leur volonté de contribuer à la transition pacifique pour une Syrie démocratique, décentralisée, fondée sur la justice. Leurs propositions pour l’intégration au futur État et à l’armée syrienne, basée sur une décentralisation du pouvoir et la reconnaissance de leurs droits culturels et politiques sont sur la table. Depuis 10 ans, l’expérience politique et sociale de l’Administration Autonome du Nord Est de la Syrie, basée sur la démocratie locale, la coexistence multi-ethnique, l’égalité hommes-femmes, l’écologie et l’économie sociale, est un point d’appui précieux pour cette transition.

Alors que l’ordre international s’enfonce chaque jour un peu plus dans une bouffonnerie dystopique et sanglante, soumis à des délires de toute-puissance masculiniste et impérialiste, le soutien aux FDS et aux populations de la région du Rojava/NES est plus urgent que jamais.  Les combats en cours dans les environs de Kobanê et les frappes aériennes sur les habitant·es et infrastructures de la région concernent toute la communauté internationale et la société civile attachée aux valeurs d’égalité, de co-existence multiculturelle, de démocratie, de justice sociale et de paix.

 
Pour tou·tes les enfants et habitant·es de Syrie, pour toutes celles et ceux qui sont tombés lors des luttes pour la liberté, la justice et la paix dans ce pays au cours des 14 dernières années, à la suite du Tribunal Permanent des Peuples de Bruxelles, nous demandons :
 
  • La reconnaissance des crimes et le jugement de leurs responsables, les hauts responsables en Turquie, les chefs des différentes brigades de l’ANS, ainsi que l’ensemble des tortionnaires du régime déchu de Bachar al Assad.
  • Un cessez-le-feu immédiat et une zone d’exclusion aérienne dans la région frontalière au Nord-Est de la Syrie.
  • L’intégration des composantes de l’auto-administration du Nord et de l’Est de la Syrie aux négociations pour une transition démocratique et l’écriture d’une nouvelle constitution.
  • Le retrait des forces étrangères de Syrie, Turquie et Israël en particulier, l’arrêt des projets de nettoyage ethnique et d’ingénierie démographique et le retour des centaines de milliers de réfugié.es et déplacé.es dans les régions occupées par la Turquie, que ce soit Afrin, Serekanye, Shehba, etc.
  • Le retrait du PKK de la liste des organisations terroristes, et la libération d’Abdullah Öcalan, condition sine qua non pour une solution politique juste de la question kurde dans l’ensemble de la région.