TURQUIE – Fırat Epözdemir, avocat kurde et membre du conseil d’administration du barreau d’Istanbul, a été incarcéré pour « appartenance à une organisation terroriste ». Les défenseurs des droits humains y voient des attaques visant l’indépendance des barreaux d’avocats et une tentative de criminalisation du métier d’avocat.
Fırat Epözdemir, membre du conseil d’administration du barreau d’Istanbul, a été arrêté à l’aéroport d’Istanbul à son retour de la réunion des avocats du Conseil de l’Europe tenue à Strasbourg le 23 janvier.
Fırat Epözdemir, avocat d’Istanbul et membre du conseil d’administration du barreau d’Istanbul, a été arrêté pour des accusations liées à des activités pro-kurdes présumées. Son arrestation, qui a suscité une controverse dans les milieux juridiques et des droits de l’homme en Turquie, a eu lieu le 23 janvier à l’aéroport d’Istanbul alors que Fırat Epözdemir revenait d’une conférence juridique à Strasbourg.
Epözdemir a comparu hier (25 janvier) devant le tribunal pénal de paix d’Istanbul, après avoir été interrogé par le parquet général d’Istanbul. Le juge a ordonné son placement en détention, citant des allégations telles que son appartenance au Congrès démocratique du peuple (HDK), sa participation à un groupe WhatsApp et la présence de photographies l’associant à des symboles liés au PKK.
L’affaire contre Epözdemir
Les procureurs affirment qu’Epözdemir a été répertorié comme l’un des dirigeants de documents liés au HDK, qui, selon les autorités, fonctionne comme un réseau soutenant le PKK interdit. Un groupe WhatsApp intitulé « Diren Cizre » (résiste Cizre), impliquant 27 avocats et précédemment blanchi de toute accusation en 2024, a été ressuscité comme preuve contre lui. Le groupe aurait été utilisé pour discuter de la défense des droits de l’homme pendant le conflit de 2015 à Cizre, une région kurde.
En outre, les procureurs ont cité une photographie d’Epözdemir portant un drapeau jaune, rouge et vert – couleurs associées au PKK – comme preuve de son appartenance idéologique. L’accusation affirme que ces activités font partie d’un « effort plus vaste visant à mobiliser des soutiens aux opérations du PKK/KCK » dans l’ouest de la Turquie.
Défense d’Epozdemir
Devant le tribunal, Epözdemir a fermement rejeté ces accusations, affirmant : « Cette enquête ne concerne pas mes actions mais une attaque ciblée contre le Barreau d’Istanbul. » Il a fait valoir que son nom apparaît dans les enquêtes en raison de son rôle d’avocat des droits de l’homme et que ses voyages à l’étranger ont toujours été légaux et liés à des questions professionnelles ou familiales.
Le groupe WhatsApp en question, a-t-il expliqué, a été créé pour coordonner les efforts visant à documenter les violations des droits humains. Il a rejeté l’accusation concernant la photo du drapeau, soulignant son opposition de toujours à la violence : « Je n’ai jamais manipulé d’arme et je ne crois pas non plus à la résolution des problèmes par la violence. »
Epözdemir a également souligné le nombre de clients avec lesquels il a interagi au cours de ses 17 ans de carrière juridique, dont beaucoup ont un casier judiciaire : « En tant qu’avocat, communiquer avec les clients fait partie de mon travail. Il est injuste de criminaliser ces interactions. »
Malgré ces arguments, le tribunal a jugé que de nouvelles preuves justifiaient l’annulation d’un rejet antérieur de l’affaire du groupe WhatsApp, conduisant à la détention d’Epözdemir.
Le Barreau d’Istanbul visé
L’arrestation d’Epözdemir intervient dans un contexte de pression croissante sur le Barreau d’Istanbul. Le Parquet a déposé une plainte demandant la révocation du bâtonnier, İbrahim Kaboğlu, et des membres du conseil d’administration, dont Epözdemir. Ils sont accusés de diffusion de propagande terroriste et d’action au-delà de leur mandat légal.
La plainte porte notamment sur la déclaration du Barreau du 21 décembre concernant la mort de deux journalistes, Nazim Daştan et Cihan Bilgin, tués lors d’une frappe de drone dans le nord de la Syrie. Le Barreau a demandé une enquête sur leur mort, la qualifiant de violation du droit international humanitaire. Les procureurs affirment que les journalistes étaient des affiliés du PKK et que la déclaration du Barreau constituait de la propagande.
Le Barreau a nié ces allégations, affirmant que ses actions étaient légales et conformes aux protections constitutionnelles. Dans une déclaration publique, l’Association a déclaré : « Cette enquête est une attaque contre l’indépendance de la profession juridique. Nous continuerons à défendre la justice et l’État de droit. »
Inquiétudes croissantes face aux mesures de répression judiciaire
L’arrestation d’Epözdemir et la campagne plus large contre le barreau d’Istanbul ont intensifié les inquiétudes quant à la diminution des libertés en Turquie. Depuis 2016, plus de 1 700 avocats ont été poursuivis, 700 ont été arrêtés et plus de 550 ont été condamnés à un total de 3 380 ans de prison, selon un rapport de l’Arrested Lawyers Initiative et de l’Institut des droits de l’homme de l’Association internationale du barreau.
Les juristes et les observateurs internationaux considèrent ces actions comme faisant partie d’une stratégie plus vaste visant à étouffer la dissidence. Erinç Sağkan, présidente de l’Union des barreaux turcs, a condamné la détention d’Epözdemir, la qualifiant d’« atteinte directe à la liberté d’expression et à l’indépendance de la profession juridique ».
« Il ne s’agit pas seulement d’un avocat ou d’un barreau », a déclaré Sağkan lors d’un rassemblement devant le tribunal d’Istanbul au début du mois. « Il s’agit des droits et des libertés fondamentales de tous en Turquie. »
Via The Arrested Lawyers Initiative – L’initiative des avocats arrêtés