Salut fasciste, banderoles et slogans glorifiant les paramilitaires responsables du meurtre de milliers de civils kurdes, attaques des footballeurs et supporters du club de football Amedspor… en Turquie, le football est devenu synonyme de violences exacerbées par les partis politiques d’extrême-droite et islamo-fasciste. Dans le texte suivant, le journaliste Ragip Duran nous donne un aperçu des dernières violences footballistiques en Turquie:
La Turquie a pu encore une fois observer la semaine passée les dimensions et effets politiques de la violence dans les stades.
M. Ali Koc, président de Fenerbahce, un des plus grands clubs du pays, a été la cible de plusieurs attaques physiques quand il est descendu sur le terrain lors du match Goztepe-Fenerbahce, le 17 août dernier à İzmir. M. Koc (57), vice-président du Koc Holding, appartient à la plus riche famille de Turquie.
Fenerbahce, dirigé depuis juin par le célèbre directeur technique portugais Jose Mourinho, a déjà perdu l’occasion de participer cette année à la Ligue des Champions de l’UEFA et l’équipe a fait un match nul à İzmir, « grâce à l’aide des arbitres » selon la majorité des chroniqueurs sportifs.
Fenerbahce, qui porte le nom d’un quartier de la rive asiatique d’Istanbul, a été fondé en 1907, mais ce club, qui revendique 30 millions (sur 85 millions d’âmes) de supporters, n’a pas pu remporter de coupe depuis 10 ans et n’a pas pu participer aux groupes de la Ligue des Champions depuis maintenant 15 ans.
Faut-il rappeler que Kadıkoy (Kalkedon), le district où se trouve Fenerbahce et son stade, était un quartier peuplé en majorité des sujets et citoyens grecs (Les Roums) depuis l’Empire Byzantin. D’ailleurs, les Roums d’antan et d’aujourd’hui, fidels au footballeur légendaire de Fenerbahce Lefter Kucukandonyadis (1925-2012) sont plutôt supporters de Fenerbahce.
M. Koc, est parti le lendemain pour Ankara pour rendre visite aux deux leaders politiques : MM. Bahceli de MHP (Extrême-droite, allié d’Erdogan) et Ozel (Kémaliste, opposition). Le Président de Fenerbahce, serait, selon la presse sportive, « à la recherche d’un soutien chez les politiques, car son club est de plus en plus détesté et isolé dans plusieurs secteurs de la société ».
M. Koc, toujours présent devant les caméras, se plaint du « lynche organisé » contre son club et critique « le système injuste du milieu footballistique ».
La violence dans les stades n’est pas un phénomène nouveau en Turquie. Déjà en septembre 1967, lors du match Kayseri-Sivas, deux équipes de l’Anatolie centrale, 43 personnes avaient trouvé la mort à la suite des accrochages entre les supporters des deux équipes. Faut-il rappeler que les populations de ces deux villes ne s’entendaient pas bien depuis longtemps, car Kayseri était à l’époque une ville conservatrice sunnite alors que Sivas était et est toujours une ville à forte majorité alévis.
S’il faut dresser la liste des événements récents de violence dans les stades, il faut parler du coup-de-poing d’un président de club contre l’arbitre en plein milieu du terrain le 11 décembre dernier à Ankara.
En mars 2023, les supporters nationalistes de Bursa (Marmara) ont brandi les posters des policiers et de soldats, « assassins officiels » selon les Kurdes, lors de la rencontre contre Amedspor (Sud-est).
Le Président de Fenerbahce, en mai 2024, escorté de garde du corps armé, a fait une descente dans le stade de Galatasaray. Ils ont frappé le directeur administratif du stade.
Le car de Fenerbahce a été cible des balles en avril 2015 lors du retour du match de Rize, sur la route de l’aéroport de Trabzon.
Les médias britanniques et espagnols, comme la BBC et le Daily Mirror, plus El Mundo Deportivo de Barcelone publient des articles et des reportages sur « l’époque de la violence » et « la honte du football en Turquie ».
La majorité des auteurs de ces attaques n’ont pas été identifiée par les parquets et policiers. « L’impunité encourage la multiplication des attaques » estime Arif Kizilyalin, chroniqueur sportif du quotidien Cumhuriyet.
« La violence dans les stades n’est pas un phénomène isolé » constate le professeur de sociologie Besim Dellaloglu.
En effet, une vague de violence sanglante frappe le pays depuis au moins dix ans:
– 3850 femmes ont été tuées par leurs maris, amis ou frères depuis 2014
– Au moins 400 chiens de rue ont été tués depuis le 2 août, date de la mise en application de la nouvelle loi sur les animaux des rues.
– On ne sait pas exactement combien d’élèves sont battus par les enseignants, combien de jeunes travailleurs battus par les patrons, combien de garçons et de filles battus par leurs parents tous les jours dans les écoles, les usines et les maisons.
– Même au Parlement, lieu où on doit parler pour résoudre les problèmes, Alpay Ozalan, ancien footballeur, député du parti d’Erdogan a attaqué physiquement Ahmet SIK, ancien journaliste député du Parti Ouvrier de Turquie (TIP) alors que ce dernier était en train de faire son intervention à la tribune le 16 août dernier.
« Le recul d’Erdogan, le soutien qu’il perd renforcent la crise politique et morale. Le droit n’agit plus. Il n’existe même pas. Alors la violence devient le dernier moyen, l’ultime instrument du pouvoir pour résoudre les problèmes » analyse un professeur de droit administratif en exil en France.