TURQUIE / KURDISTAN – Le 2 juillet 1993, la police turque laissait brûler vifs 33 Alévis par des islamistes turcs dans l’hôtel Madimak, à Sivas, où devait avoir lieu un festival alévi. 31 ans après ce massacre barbare resté impuni, aujourd’hui, des fascistes turcs mettent le feu aux commerces des réfugiés syriens et mènent la chasse à l’homme dans les rues de la Turquie, en toute impunité.
Le virtuose du tembûr (instrument à corde appelé également « saz » en turc) Hasret Gültekin était parmi les victimes de Madimak*. Ainsi, Hasret a payé de sa vie le triple affront qu’il commettait en étant à la fois kurde, alévi et musicien dans un pays où il était interdit d’être autre que turc, sunnite et parlant le turc.
Hasret Gültekin, 22 ans, était un des premiers chanteurs à avoir bravé l’interdiction de chanter en kurde avec son album « Newroz » sorti en 1990.
Hasret est devenu père à titre posthume 2 mois après sa mort. En effet, sa femme Êtê était enceinte de 7 mois quand on a brûlé son mari. Elle a appelé son bébé « Hasret Roni » (Roni signifie « lumière » en kurde).
*Le 2 juillet 1993, après la prière du vendredi, plus de 15 000 islamistes appelant à la charia et à la mort des infidèles se sont réunis devant l’hôtel Madımak, à Sivas, où des participants vénus pour le festival alévi Pir Sultan Abdal étaient logés.
Les islamistes protestaient au début contre la présence dans l’hôtel de l’écrivain Aziz Nesin, qui a traduit et publié les « Versets sataniques » de Salman Rushdie et critiqué l’Islam. Mais la protestation s’est transformée en une attaque violente et finalement, ils ont mis le feu à l’Hôtel Madimak.
Aziz Nesin a été sauvé par les forces de sécurité, mais 33 autres intellectuels et 2 hôteliers ont été tués. La police turque a été critiquée pour ne pas avoir empêché la foule haineuse de mettre le feu à l’hôtel.
Le massacre de Sivas a visé non seulement Aziz Nesin et les versets sataniques, mais aussi la minorité alévie qui est la deuxième plus grande communauté religieuse en Turquie persécutée depuis des décennies.
Quelque 85 suspects ont été condamnés à des peines allant de deux à quinze ans de prison, tandis que 37 autres suspects ont été acquittés en décembre 1994, pour « tentative d’établir un État théocratique en renversant l’ordre constitutionnel laïque. »
La Cour d’appel a infirmé cette décision en déclarant que le massacre était dirigé contre « la république, la laïcité et la démocratie ». Le 13 mars 2012, la Cour pénale d’Ankara a abandonné l’affaire du massacre de Sivas pour cause de prescription.
Des mesures de sécurité spéciales sont prises chaque année le 2 juillet alors que des milliers de personnes arrivent à Sivas pour rendre hommage aux 33 victimes devant l’hôtel Madimak.
Les Kurdes alévis persécutés depuis des siècles
Les Kurdes alévis de Turquie sont persécutés depuis des siècles à cause de leurs croyances et leur identité ethnique car pour les Ottomans hier et le régime turc aujourd’hui, il était difficile de les assimiler ni sur le plan ethnique, ni sur le plan religieux. Alors que les autorités turco-ottomanes pouvaient manipuler certains Kurdes sunnites en exploitant la religion musulmane pour espérer les éloigner de leurs revendications nationalistes, ils se sentaient démunis face aux Kurdes alévis qui ethniquement et religieusement étaient hermétiques à l’idéologie turco-sunnite et dons indomptables. C’est pourquoi, ils ont été massacrés en masse, déportés de leurs terres vers d’autres régions turques mais également vers Khorasan, en Iran, il y a des siècles.
Depuis le massacre de Dersim entre 1937-38, de nombreux Kurdes alévis ont été assimilés de force et une partie de leurs descendants se disent Turcs et/ou sunnites aujourd’hui. Certains ont même une haine noire vis-à-vis des Kurdes non assimilés, qu’ils soient sunnites ou alévis. Ceci est une des conséquences des politiques d’assimilation centenaires mises en place au Kurdistan par le régime colonialiste turc.