Depuis quelques mois, la Turquie attaque constamment le nord-est de la Syrie, sous administration kurde. Actuellement, le monde est détourné de la guerre entre Israël et Gaza et de la crise de la mer Rouge. La Turquie y voit une bonne occasion d’intensifier son agression contre les Kurdes syriens sous prétexte de légitime défense. La récente recrudescence du conflit a commencé lorsque neuf soldats turcs ont été tués lors d’affrontements avec des combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le nord de l’Irak. Ankara a répondu par des frappes aériennes et des opérations militaires terrestres incessantes dans la région, ainsi que dans le nord-est de la Syrie. Le PKK, un mouvement armé de gauche, a été créé à la fin des années 1970 par son leader aujourd’hui emprisonné, Abdullah Öcalan. (…) Le gouvernement turc insiste sur le fait que les Unités de défense du peuple (YPG), un puissant groupe armé kurde principalement basé dans le nord-est de la Syrie, sont une extension du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Mais le fait est que les YPG et le PKK partagent une idéologie similaire, mais ils constituent des entités distinctes avec des objectifs différents.
Dès le début de la guerre en Syrie, le président turc Recep Tayyip Erdogan exploite le conflit pour promouvoir son programme expansionniste. Toutefois, les Kurdes syriens constituent le principal obstacle à la politique expansionniste d’Erdogan en Syrie. Ankara a tenté à plusieurs reprises de justifier sa farouche hostilité envers les forces kurdes. La Turquie veut vendre au monde un faux récit selon lequel sa sécurité intérieure est menacée par le petit État kurde quasi autonome à sa porte, le qualifiant de « couloir terroriste » où le PKK pourrait se cacher ou partir facilement pour attaquer. Cependant, la Turquie n’a jusqu’à présent pas réussi à fournir la preuve d’attaques terroristes liées aux Kurdes menées depuis la Syrie.
Les bombardements intenses turcs ont endommagé plus de la moitié des infrastructures électriques et pétrolières du nord-est de la Syrie, aux mains des Kurdes, portant un coup dur à son économie dépendante de l’énergie. En outre, ces attaques ont causé des dégâts considérables aux infrastructures vitales, déjà dans un état désastreux après plus d’une décennie de guerre et de crise économique. La plus importante d’entre elles est la centrale électrique de Sweidiya, qui était la seule source d’énergie approvisionnant en énergie la région de Jazira, au nord-est de la Syrie. La centrale est actuellement hors service suite aux raids aériens turcs. L’approvisionnement en eau potable dans la région dépend également de l’électricité. Les populations locales sont donc actuellement privées des besoins essentiels en électricité et en eau. Par conséquent, l’agression turque dans le nord-est de la Syrie n’est en aucun cas un acte de légitime défense ; il s’agit plutôt de punir les Kurdes et de freiner leur aspiration à l’autonomie.
La Turquie a toujours été opposée à toute forme d’entité kurde sur son territoire ou dans son voisinage. Les Turcs ont adopté une position extrême, non seulement contre la création d’un organisme kurde indépendant, comme ils l’ont fait lorsqu’ils se sont opposés aux résultats du référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien en 2017, mais aussi contre les droits légaux des Kurdes en Turquie et en Syrie. La Turquie a rejeté l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie (AANES), fondée par les Kurdes avec d’autres acteurs de la région, et a également restreint les activités du Parti démocratique du peuple pro-kurde en Turquie, même s’il s’agit de groupes légitimes. L’intensité de la haine de la Turquie envers les Kurdes syriens peut être visualisée à partir d’un acte récent des Turcs. Les autorités turques qui contrôlent certaines parties du nord-ouest de la Syrie ont refusé pendant sept jours d’autoriser le transport de fournitures humanitaires des résidents de l’AANES vers les zones syriennes touchées par le tremblement de terre.
Mais ce n’est pas une nouvelle politique des Turcs. Depuis la création de l’État turc en 1923, la minorité kurde est soumise à la répression et à la marginalisation. Dans le passé, cela s’est traduit par l’interdiction de la langue kurde et une répression sévère de toute expression de l’identité kurde, comme la célébration de la fête kurde de Nowruz. En effet, l’État turc a longtemps nié l’existence des Kurdes en tant que groupe ethnique, les qualifiant de « Turcs des montagnes ». C’est pourquoi les autorités turques ne peuvent pas tolérer que les Kurdes s’autonomisent dans leur voisinage immédiat. Ainsi, depuis plusieurs années, la Turquie s’efforce de détruire le Rojava, désormais appelé AANES, une enclave dirigée par les Kurdes. En outre, le gouvernement turc souhaite éliminer les Kurdes syriens révolutionnaires de la région, qui ont créé une région autonome à l’intérieur de la Syrie tout en fournissant un modèle d’autonomie gouvernementale à la population minoritaire kurde de Turquie.
Malheureusement, le nord-est de la Syrie, autrefois l’une des régions les plus stables de ce pays ravagé par la guerre, est devenu une zone de guerre en raison de la politique éliminationniste de la Turquie à l’égard des minorités kurdes. La Turquie, qui possède la deuxième plus grande armée de l’OTAN, a les mains presque libres pour faire ce qu’elle veut dans la région tant que la communauté internationale reste passive. La crise actuelle dans le nord-est de la Syrie nécessite un effort concerté de la part des acteurs internationaux. Autrement, si la situation actuelle persiste, les conséquences se feront sentir au-delà de la région et pourraient inclure le déplacement massif de centaines de milliers de civils et la résurgence de l’État islamique et d’autres groupes similaires pouvant constituer une menace pour la sécurité nationale mondiale.
Par Par Manish Rai, chroniqueur pour Middle-East et Af-Pak et rédacteur en chef de l’agence de presse géopolitique ViewsAround
Version originale (en anglais) à lire sur le site North Press