Les Turcs et les Kurdes du Bakûr (Kurdistan du Nord) vont se rendre aux urnes le 14 mai pour les élections législatives et présidentielles alors que le pays fait face à une nouvelle crise majeur suite au séisme dévastateur du 6 février qui a frappé les régions du sud-est à majorité kurde-alévies et que le président sortant se trouve face à une opposition unie qui va de la centre gauche kémaliste (CHP) à l’extrême-droite (IYI).
Même si le parti « por-kurde » HDP apporte son soutien à cette alliance hétéroclite qui parait comme la seule solution pour mettre un terme au régime dictatorial d’Erdogan, rien n’indique qu’en cas de défaite d’Erdogan, le pays verra des jours meilleurs, car démonter le système Erdogan (Après plus de 20 ans de règne, le président islamo-nationaliste turc a noyauté toutes les institutions du pays: justice, armée, police, éducation…) prendra du temps et se heurtera à la résistance des sbires du président sortant.
Le journaliste Amed Dicle dépeint également un tableau sombre de la Turquie de demain qui serait menacée par une guerre civile provoquée par Erdogan… On partage l’analyse d’ Amed Dicle:
L’élection en Turquie est une bifurcation sur la route: des jours plus sombres ou un retour en arrière ?
La journée du 14 mai sera le virage le plus serré sur la route que les peuples de Turquie ont emprunté depuis un siècle. Pourquoi?
La Turquie a passé les 21 dernières années sous le règne de gouvernements islamistes du Parti de la justice et du développement (AKP). Depuis 2015, le même régime perdure sous une coalition non officielle avec le Parti du mouvement nationaliste d’extrême droite (MHP). Il y a eu différentes étapes dans le régime d’Erdoğan qui a duré deux décennies, mais la dernière itération a été le pro-racisme, l’anti-pluralisme, le pro-salafisme et le panturquisme. Ce régime dictatorial a tout infiltré en Turquie. Erdoğan est à la tête de ce régime qui a mal tourné et espère rendre son régime dictatorial permanent (…) lors de ces élections.
Le régime anormal instauré par Erdoğan, le « système présidentiel », aura dépassé le point de non-retour, si Erdoğan obtient ce qu’il veut. De nombreux observateurs politiques disent à juste titre que ce sont les dernières élections que la Turquie verra jamais. Bref, si Erdoğan gagne, sa position ressemblera à celle de Saddam Hussein en Irak. Les enjeux sont si élevés, la situation si critique, si mauvaise et si dangereuse.
Contre Erdoğan, il existe deux autres courants principaux dans le pays. Le premier est l’Alliance nationale, composée de six partis d’opposition de tailles diverses, dirigés par le principal parti d’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP). Cette alliance, avec son candidat présidentiel leader du CHP Kemal Kılıçdaroğlu, veut débarrasser la Turquie du régime d’Erdoğan et défend un système parlementaire. Cependant, ce groupe a également de nombreux points de vue parallèles aux thèses d’Erdoğan. Leurs politiques pour la démocratisation de la Turquie, la question kurde, les mouvements de femmes, le changement climatique, etc. restent superficielles et pragmatiques.
La troisième ligne politique est l’Alliance du travail et de la liberté, dirigée par le HDP. Le mouvement politique kurde est le plus grand constituant de cette alliance, et les organisations socialistes et de gauche turques en constituent les fondements. Cette alliance défend des projets de société et une politique intérieure et extérieure apaisée.
Les deux courants d’opposition sont d’accord sur de nombreuses questions, et si un nouveau gouvernement remplace celui d’Erdoğan, il y aura beaucoup de lutte politique pour les questions convenues, ainsi que sur les désaccords. En fin de compte, on ne sait pas dans quelle mesure la démocratisation se poursuivra. Pourtant, de nombreux électeurs sont motivés par un simple « ça ne peut pas être pire qu’Erdoğan ».
Alors qu’est-ce que cela nous dit?
Le régime d’Erdoğan perdait déjà des appuis, mais l’immense désastre qu’ont été les tremblements de terre du 6 février a accéléré cela. Plus de 45 000 personnes sont mortes dans le tremblement de terre, et des milliers d’entre elles auraient pu survivre sans la négligence de l’État.
Le CHP a adopté une position très active dans la réponse à la catastrophe, et Kılıçdaroğlu a légitimement et clairement désigné Erdoğan comme le coupable. Pendant ce temps, les fournitures de secours du HDP ont été confisquées et les efforts réduits.
Erdoğan a fait une autocritique plus tard, mais le tremblement de terre a creusé un énorme fossé entre lui et le peuple. Le président est d’autant plus impuissant et ne peut plus régner sur l’État. Il est au plus faible en politique. Il semble que diverses dynamiques étatiques dans la capitale ne tiennent plus Erdoğan assis sur le siège du conducteur. La règle éternelle en politique est également vraie ici : les faibles n’ont pas d’alliés.
Beaucoup pensent qu’Erdoğan « ne partira pas même s’il perd ». C’est une préoccupation importante et authentique pour beaucoup, mais c’est aussi exactement ce qu’Erdoğan veut que les gens pensent. Bien sûr, il « partira » s’il perd les élections. Oui, il fera tout ce qu’il peut avant les élections pour rester, mais il ne peut rien faire s’il ne peut pas obtenir un soutien suffisant du peuple. Dans les conditions actuelles, il est préférable qu’il parte par voie électorale. Si les méthodes légitimes ne fonctionnent pas, une guerre civile pourrait éclater. C’est le risque à ce carrefour tendu.
Le facteur le plus important pour déterminer le sort d’Erdoğan est la question kurde et son approche des Kurdes. L’État a présenté le président comme l’homme politique le plus utile dans sa guerre contre les Kurdes. Son alliance avec des groupes djihadistes contre les Kurdes en Syrie notamment a été ce qui lui a tenu chaud à Ankara. Mais cette guerre n’est pas gagnée. Oui, les Kurdes ont payé un lourd tribut, leurs villes ont été rasées et des milliers de personnes ont été tuées. Mais la lutte kurde a réussi à rester debout.
Des milliers de Kurdes sont derrière les barreaux, le HDP fait face à une affaire de fermeture. Mais en fin de compte, la structure politique qui représente le peuple kurde a actuellement le pouvoir de déterminer le résultat des élections du 14 mai.
Le système électoral en vigueur exige qu’un candidat à la présidence obtienne 50 % plus un des voix. Le candidat de l’opposition n’est pas encore là, mais Erdoğan est bien plus loin. Et le HDP détient environ 15 % des voix. Ce fort d’un bloc électoral porterait à coup sûr un coup politique à Erdoğan dont il ne pourra pas rebondir. Ce seul fait montre que l’État n’aura plus besoin du président.
D’autre part, les forces militaires du mouvement kurde ont appelé à une période de non-action après le tremblement de terre. Les guérilleros du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ont annoncé qu’ils ne mèneraient aucune action à moins que l’armée turque ne les attaque. Erdoğan n’a pas aimé cette décision : une issue pour lui est de perpétuer la guerre. Il souhaite attiser le nationalisme et consolider sa base par une guerre contre les Kurdes. La décision du PKK enlève le pouvoir à Erdoğan. En tant que tel, il est possible que divers scénarios sanglants se déroulent dans la période à venir.
En bref, le mouvement kurde, en tant qu’acteurs politiques et dynamiques militaires, a pris les mesures nécessaires pour renverser le régime d’Erdoğan. Il pourrait y avoir d’autres mouvements à venir, par exemple, le HDP pourrait s’abstenir de présenter son propre candidat et soutenir Kılıçdaroğlu. Cela dépendrait de Kılıçdaroğlu lui-même, s’il rend visite au HDP et demande directement du soutien, offrant des promesses convaincantes de démocratisation, le HDP pourrait répondre. Et le PKK, malgré les attaques quotidiennes de l’armée turque, pourrait en quelque sorte maintenir sa décision de ne pas agir jusqu’aux élections.
Ces deux pas du côté kurde pourraient déclencher la chute du régime d’Erdoğan, mais la chute ne signifie pas l’instauration immédiate de la démocratie. Il y a une grave rupture. Il y a d’immenses problèmes. Et malheureusement, les pouvoirs politiques qui émergent comme alternatives n’ont pas la vision pour résoudre ces problèmes.
Cependant, la chute du régime d’Erdoğan pourrait créer une atmosphère relativement positive. Dans de telles conditions, une base pourrait être posée pour résoudre les problèmes les plus importants du pays. Mais d’un autre côté, c’est-à-dire que si Erdoğan gagne, la situation passera du noir au noir absolu.
Le choix de la Turquie est entre cette obscurité noire ou le chemin de retour en arrière.
Analyse publiée par Medya News