Les recherches pour trouver des survivants sous les décombres du séisme dévastateur qui a frappé le nord de la Syrie et le sud-est de la Turquie (régions à majorité kurde) sont dérisoires comparées aux dizaines de milliers de personnes ensevelies sous les décombres, tandis qu’un froid glacial balaie la région depuis plusieurs jours. Mais même malgré la lenteur des recherches, plus de 21 000 corps sans vie ont été extraits des décombres en quelques jours, tandis que l’odeur de cadavres en décomposition rend l’air irrespirable dans les grandes ville comme Adiyaman ou Hatah devenues des villes-cimetières. Dans certains villages coupés du monde, on signale que des loups (ou des chiens affamés?) mangent les cadavres au milieu des décombres. Le séisme, contrairement au régime turc, a frappé tout le monde, sans faire de distinction entre Kurdes, Turcs, Arabes peuplant ces régions. Mais ils ne bénéficient pas tous des mêmes efforts de secours et d’aides selon qu’ils sont Turcs, partisans d’Erdogan ou non…
Alors que les Arabes alévis de Hatay, ancienne province syrienne annexée à la Turquie en 1939, se plaignent d’avoir été abandonnés par l’État à cause de leur confession, les Kurdes de Kahramanmaras, Adiyaman, Gaziantep, Diyarbakir… pointent du doigt la mentalité colonialiste turque – qui même dans des moments d’extrême détresse – discrimine sa population selon leurs origines ethniques ou selon leurs croyances. Ils disent que ce n’est pas le séisme qui les tue en ce moment, mais le colonialisme turc au Kurdistan pour qui le tremblement de terre est une aubaine tombée du ciel pour dépeupler d’avantage les régions kurdes déjà saignées à blanc par des politiques de déportations, d’assimilations ou de massacres depuis des décennies.
De loin, nous pourrons penser que les Kurdes (ou les Arabes alévis de Hatay) exagèrent dans leurs propos, qu’il y a également des villages et quartiers turcs non secourus… si on oublie que les traumatismes des Kurdes sont encore frais et que chaque nouvel événement tragique lié à la guerre ou à des catastrophes dites « naturelles » réveillent ces souvenirs douloureux non pansés… Si on oublie également qu’actuellement, dans le nord d’Alep, les soldats turcs bloquent l’aide envoyée par l’administration du Rojava (Kurdistan syrien) aux sinistrés d’Afrin et d’Idlib, qu’il y a quelques jours, les forces turques ont bombardé des réfugiés d’Afrin dans la région de Tall Refat, si on oublie aussi que plusieurs convois d’aide destinée à des localités kurdes en Turquie ont été confisqués par le régime turc, etc.
Si on oublie ce que les Kurdes ont subi hier, on peut relativiser ce qui se passe actuellement, en disant que « tout le monde est touché par le séisme en Turquie ». Mais on n’oublie rien, notre mémoire traumatique est encore très vive et chaque nouvelle tragédie ne fait que la renforcer. Pourtant, il ne s’agit pas d’une fatalité, il suffirait que les peuples de la Turquie et du Moyen-Orient militent ensemble pour des modèles politiques pluralistes et anticolonialistes. Autrement, ils souffrirons tous à cause des dirigeants corrompus, fascistes, tyranniques qui se maintiennent au pouvoir par la terreur étatique, comme on le voit en Iran, en Syrie et même en Turquie… Ces peuples méritent mieux qu’un tel cauchemar éveillé.
Image via ANF: Décombres dans le district d’Elbistan, à Maras