PARIS – L’écrivaine franco-kurde, Dora Djann rend hommage à Mir Perwer, un jeune chanteur kurde tué avec la représentante du Mouvement des Femmes kurdes Evîn Goyî (Emine Kara) et à Abdurrahman Kizil lors de l’attaque terroriste de la rue d’Enghien le 23 décembre 2023. Pour Dora, Mîr n’est que l’arbre qui cache la « montagne où on veut ensevelir les Kurdes ».
« Des inconnus, des corps déchirés, des airs arrachés, des vies brisées, des sorts jetés, un musicien miraculé qui s’en est allé, assassiné, pour rien, parce que Kurde, parce que rien.
Le néant a frappé, inconsolables nous sommes, c’était l’enfant, un orphelin, l’enfant de tous, le frère de tous, qu’ils ont voulu incarcérer à 20 ans, pour rien, parce que Kurde, parce que rien.
Ce n’est pas la haine qui l’a emporté, c’est pas l’indifférence, ni l’habitude, ni un sort jeté.
Ce n’est pas la balle d’un fou, c’est l’impunité. Derrière ce crime, il y en a des centaines de milliers, qu’ils ont enterré, qu’ils ont classé, sans suite.
C’est un rien. Il y a 12 ans, je partais au Bakûr [Kurdistan « turc »], et là, on a relevé des charniers, des corps, retrouvés dans des puits [d’acide].
La mort de Mir, c’est un chant funèbre sur le Tigre et l’Euphrate, qu’ils ont étouffé.
C’est l’arbre qui cache la Montagne.
C’est sa branche qui se plie, et se brise sous le poids des vautours, des âmes vides, des fantômes, de l’au-delà.
Mais les Kurdes ne connaissent que trop bien la Montagne, où on veut les ensevelir, et ils traversent ce siècle, en se glissant à travers ce chemin qui s’est dessiné sur les sommets, les chutes d’eau inconnues du monde civilisé.
La mort du troubadour, c’est l’arbre de la Montagne où tous iront faire un nœud et un vœu, pour le sanctuariser, la Montagne et l’arbre, et le souffle des orphelins miraculés.
(Pour Mir Perwer, l’orphelin miraculé, mort pour rien) »
Dora Djann