Lettre ouverte d’un Kurde de France qui fut victime des violences policières lors du rassemblement du 23 décembre à Paris, juste après l’attentat terroriste qui a fait 3 victimes parmi les militants kurdes dans la rue d’Enghien, dans le 10e arrondissement de Paris.
« Le 9 janvier 2013, nous avons perdu trois militantes kurdes révolutionnaires, Sakine Cansız, Leyla Leyla Şaylemez et Fidan Doğan, dans un massacre perfide à Paris. La République de Turquie et la France ont couvert ensemble ce massacre. Depuis dix ans, nous pleurons toujours les femmes kurdes. Elles ont fait partie de la lutte pour la liberté non seulement du peuple kurde mais aussi des peuples du monde… Alors que l’on préparait le dixième anniversaire de ce massacre, hier, à quelques rues de là, nous avons vécu un nouvel attentat. L’attaque contre le centre culturel kurde Ahmet Kaya nous a montré une fois de plus que ces attaques se poursuivront jusqu’à ce que le peuple kurde soit vraiment libre. Le centre culturel kurde Ahmet Kaya est un lieu que je visite plusieurs fois par semaine. Les personnes qui s’y trouvent sont mes amis, mes camarades et mes compagnons. J’aurais pu être là hier lors de cette attaque ou nous aurions tous pu y être.
Il ne s’agit pas d’une attaque individuelle et isolée. Nous le savons tous. Quinze minutes après l’attentat, nous avons commencé à nous rassembler dans la rue où se trouvait le centre culturel. J’y ai vu mes amis et mes camarades en pleine dépression nerveuse. J’ai passé ma vie dans les rues et les manifestations en Turquie et au Kurdistan du Nord, mais je n’ai jamais connu ce genre de contraction mentale et de colère. Parce que ce n’était ni la Turquie ni le Kurdistan du Nord, c’était Paris, la capitale de la France. Nous pensions que nos vies étaient en quelque sorte en sécurité, mais le massacre d’hier et l’approche loin d’être sérieuse de l’État français après coup nous ont montré une fois de plus que les États ont des contrats secrets contre le peuple kurde. Nous avons toujours été ceux qui ont été massacrés et les États continuent à nous mentir et à poursuivre les massacres perfides en couvrant les crimes des uns et des autres.
Lorsque nous, Kurdes, et nos amis avons appris la nouvelle hier, nous nous sommes rassemblés au bout de la rue où le massacre a eu lieu. Nous étions en colère, tristes, surpris et surtout, ils nous ont fait revivre nos vieux traumatismes. Nous nous sommes réunis pour montrer notre réaction justifiée, mais c’est nous qui avons été qualifiés de “terroristes” une fois de plus… La police française a enveloppé l’homme qui a perpétré le massacre et l’a emmené comme s’il s’agissait d’une attaque ordinaire. Ceux d’entre nous qui ont montré leur juste colère et leur réaction de manière pacifique ont été attaqués avec des gaz, des balles en caoutchouc et des matraques. Hier, comme dans d’autres villes de France, dans les rues de Paris, les femmes et les jeunes kurdes et leurs amis de tous les peuples du monde ont rempli les rues et les champs en disant “nous ne nous y ferons pas, nous ne l’accepterons pas, nous ne nous y soumettrons pas”. J’étais parmi eux à Paris. Pendant cette violente attaque policière contre cette communauté triste et pacifiste, je suis tombé sur le trottoir. Soudain, des coups de pied et des matraques ont commencé à voler vers moi. J’ai perdu connaissance en me relevant à peine du lieu de l’attaque et en atteignant un trottoir plus loin. Mon ami m’a porté, ils ont ouvert l’entrée d’un immeuble d’habitation et nous y ont emmenés. À l’intérieur, j’ai perdu connaissance pour la deuxième fois et nous sommes restés là un moment, puis, avec l’angoisse d’une troisième crise, nous sommes entrés dans la municipalité du Xe arrondissement de Paris, où l’équipe de premiers secours est intervenue.
Depuis 30 ans, je suis un militant actif au Kurdistan et en Turquie, j’ai passé ma vie dans les rues et les manifestations, mais je n’ai jamais été soumis à ce genre de violence policière. À l’heure actuelle, je ne peux pas utiliser mon bras gauche, ni les poignets de mes deux mains. J’ai de nombreuses blessures aux genoux et aux jambes… Nous le disons une fois de plus : nous, les Kurdes, ne sommes pas et ne serons pas des victimes. Nous sommes du bon côté de cette guerre. Toute l’humanité a vu et témoigné au Rojava que l’utopie de chaque individu kurde révolutionnaire, en particulier les femmes kurdes, est de construire une vie égale et libre pour les Kurdes avec tous les autres peuples, enrichie par toutes les différences. Cependant, il faut aussi dire que ceux qui nous applaudissent pendant que nous luttons ne sont pas avec nous lorsque nous mourons… Nous appelons une fois de plus tous les peuples, les femmes et les jeunes à être solidaires pour dire “stop” à cette guerre et à cette violence. »
Lettre publiée initialement sur le site « Hebdo Media Bask »