PARIS – L’Association Espace universelle organise une soirée de projection/débat autour du cinéma et l’art contemporain kurdes du point de vue décoloniale* avec comme invité le sociologue et critique d’art, Engin Sustam, le vendredi 19 novembre. La soirée débutera avec la projection de deux court-métrages d’artistes kurdes:
« Where Bluebirds Fly », de Berat Işık
« Toros Canavari (Toros, le Monstre) », de Firat Yavuz
Ensuite, Engin Sustam présentera l’art contemporain et le cinéma kurde dans une perspective décoloniale avant de répondre aux questions du public avec la modération qui sera assurée par Hevi Nimet Gatar.
Affiche de l’événement qui aura lieu à l’Espace Universel
RDV le vendredi 19 novembre, à 18 heures
*Brièvement, Art contemporain et visuel kurde dans la perspective décoloniale
« Depuis quelques années, l’espace kurde a connu une grande émergence sociopolitique par les transformations qui bouleversent la nouvelle subalternité kurde à l’aire de la mondialisation, comme ce qui se passe au Rojava (région kurde en Syrie) après la guerre, la révolution et son contrat d’écologie sociale (une nouvelle constitution de citoyenneté transculturelle) ou encore au Bakûr (« Nord », région kurde en Turquie) après l’expérience municipale, l’oppression totalitaire et l’insurrection urbaine (qui a dévoilé la violence, le totalitarisme, la nécropolitique de la guerre). Dans cette perspective, ces nouvelles connaissances d’espace kurde ne limitent pas qu’à l’introduction des apparences politiques, mais suivent une nouvelle formation transfrontalière, celles de la création artistique et de la production culturelle. Cette fois-ci avec la visibilité artistique, on parle plutôt d’un art contemporain et visuel kurde autour d’une esthétique relationnelle et décoloniale. La production artistique dans l’espace kurde signifie également la mémoire d’une société apatride (Bê Welat : « sans patrie ») et une approche de résistance hétéroclite essayant de survivre au milieu de l’hégémonie des cultures nationales dominantes, des traumatismes et de la répression politique coloniale. Au cours des années 1990 et 2000 jusqu’à aujourd’hui, de l’art contemporain, des festivals de théâtre, de musique et de cinéma ont commencé à se tenir dans la diaspora et se sont également étendus à l’espace kurde, entraînant la propagation d’activités artistiques et culturelles intergénérationnelles également. La création artistique n’est pas celle d’une apparence colonisée de victimisation, mais celle qu’une résistance fait dans une insurrection constituante. Il s’agit de donc trois caractères qui définissent l’espace kurde artistique, visuel : le premier est l’insurrection constituante, le second annonce une valeur collective d’une société sans État et le troisième présente une esthétique relationnelle et un langage décolonial. Cette contre-mémoire culturelle kurde n’est peut-être pas une renaissance de la culture populaire, mais devrait plutôt être considérée comme une insurrection (serhildan) culturelle.
Les arts et les artistes témoignant de leur temps, d’une époque, multiplient également la mémoire politique des œuvres d’art reproduites et ajoutent un contre-pouvoir à la résistance de la nouvelle subalternité kurde. À travers des œuvres d’art, notre présentation propose de déployer la réflexivité et de rendre visible l’image imprévue de l’espace kurde. La production artistique crée des formes d’appartenance pastorales et mythiques dans l’image et le son se retrouvant dans la culture de Dengbêjs (les conteurs et les bardes) qui sont le foyer de la mémoire et de l’histoire orale kurde comme Griot, Kevel, Djéli, Jali, Bambâdo en Afrique. L’histoire orale possède un répertoire profondément riche pour rendre cet aspect artistique dans l’image artistique contemporain. En effet, la création visuelle kurde fonctionne avec une mémoire brisée et des territoires hantés que contaient les Bardes par le passé. Néanmoins, il y a une impossibilité de faire autrement, la production bifurquée, coupée de cette pratique insurrectionnelle. Comme Deleuze et Guattari l’avaient décrit sur Kafka, sur la littérature mineure juive à Prague. C’est en ce sens que l’impossibilité kurde se connecte aux autres aspects artistiques, qui en déterminent les valeurs collectives de cette apparence insurrectionnelle.
Il est aujourd’hui possible de parler d’un certain degré de décolonisation visuelle ancrée dans des scènes kurdes à travers des dépressions collectives, des témoignages de conflit, d’insurrections constituantes. Face à la gentrification, à la crise écologique, à la précarité, à la guerre et aux technologies de contrôle, cette énonciation propose une rencontre aléatoire avec l’image visuel kurde et une confrontation des regards, dans un processus à la fois intime et collectif à travers les œuvres d’art. »
Biographie :
Engin Sustam diplômé de l’Université des Beaux-arts de Mimar Sinan d’Istanbul, et de l’EHESS. Il a enseigné en Turquie jusqu’à son licenciement à cause de son identité de kurde/alévie et son travail sur les Kurdes et sa ligne politique de gauche et ainsi que pour avoir signé la pétition des Universitaires pour la Paix (Janvier 2016). Il est un chercheur en exil, associé à l’IFEA d’Istanbul et Cetobac-EHESS, invité par Queen Mary University of London, Université de Genève, EHESS, ENS, FMSH, et a été attaché au département des Sciences de l’Éducation de l’Université Paris 8 en y donnant des cours en licence, en master. İl est l’auteur des livres « Art et Subalternité Kurde, L’émergence d’un espace de production subjective et créative entre violence et résistance en Turquie » paru chez l’Harmattan en septembre 2016 et « Manifestations de la rue et Nouvelles Emeutes » paru chez Edition Kalkedon à Istanbul. Et prochainement à paraître « Soulèvements Imprévus-De nouveaux lieux d’émancipation » et « Esthétique décoloniale et arts dans l’espace kurde ». Il est également curateur indépendant et critique d’art pour des expositions d’art contemporain. Il est un des curateurs du projet d’art contemporain à NGBK Berlin intitulé « Bê Welat – The Unexpected Storytellers » . Il est membre de NGBK Berlin, attaché à Cetobac EHESS, à IFEA-Istanbul, à la Revue en ligne « (Re)Penser l’Exil » (Genève) et à l’équipe d’InCite de l’Université de Genève.
Pour en savoir plus sur le travail d’Engin Sustam, voir cette
interview
que nous avions réalisée avec lui autour de son livre « Art et Subalternité Kurde, L’émergence d’un espace de production subjective et créative entre violence et résistance en Turquie » et de l’espace culturel kurde contestataire.