Je me dis souvent qu’il y a des jours où le soleil doit s’en vouloir amèrement de s’être levé au-dessus de la planète Terre où des individus appartenant à l’espèce humaine font pâlir de jalousie le diable, tant leurs agissements sont abjects. En effet, en tant que Kurde exilée focalisée sur ce qui se passe au Kurdistan mais aussi dans la diaspora kurde et les horreurs qu’on fait vivre aux Kurdes, sans parler des coups bas dont nous sommes victimes, parfois de la part de personnes déguisées en « amis » qui profitent de notre bienveillance, je me dis que le soleil doit s’en vouloir de s’être levé et d’assister à un tel spectacle macabre…
Il ne passe pas un seul jour, sans qu’on relaye des horreurs dont notre peuple est victime. Un jour, on apprend que des ossements d’un jeune Kurde (Agit Ipek) tué lors de combats contre l’armée turque sont envoyés à sa mère par la poste, 3 ans après sa mort.
Un autre jour, on apprend qu’un autre jeune Kurde (Devran Dinç) porté disparu est retrouvé sans vie avec des traces de torture sur le corps près d’un poste de police turque dans une ville du Bakur.
Un autre jour, on apprend qu’une chanteuse kurde (Nûdem Durak), accusée par l’Etat turc de faire du « terrorisme » pour avoir chanté dans sa langue maternelle, doit rester en prison pendant 19 ans.
Un autre jour, on apprend que le cadavre d’un chanteur d’origine kurde-alévie (Ibrahim Gokçek, guitariste de Grup Yorum décédé après 323 jours grève de la faim) est enlevé par la police turque dans le lieu de culte alévi, à Istanbul/Gazi.
Un autre jour, on apprend que l’Etat turc a coupé l’eau de plus d’un million de civils au Rojava, en pleine pandémie du coronavirus (COVID-19).
Un autre jour, on apprend qu’une prisonnière politique kurde (Zeinab Jalalian) souffrant de graves maladies qui risque de mourir en prison, est mise en isolement par ses bourreaux iraniens.
Un autre jour, on apprend que les mollahs iraniens ont accéléré l’exécution des prisonniers, dont des Kurdes.
Un autre jour, on apprend que les soldats turcs détruisent les tombes des combattants kurdes.
Un autre jour, on apprend que le camp de réfugiés kurdes de Makhmur (Maxmur), au Kurdistan du Sud, est sous l’embargo total depuis plusieurs mois, malgré la pandémie du coronavirus, pour faire plaisir à la Turquie qui prétend que le camp abrite des combattants du PKK.
Un autre jour, on apprend qu’une femme kurde (Şadiya Ahmed, 36 ans, mère de 3 enfants) originaire du Rojava, réfugiée en Allemagne, a été assassinée par son mari violent alors qu’elle avait déjà porté plainte contre le mari qui était interdit d’approcher sa femme.
Un autre jour, on apprend que plus de 50 000 prisonniers politiques en Turquie, dont des dizaines de milliers de Kurdes, sont interdits de quitter les prisons turcs alors qu’ils sont menacés par la pandémie du coronavirus alors que par ailleurs des criminels (exemple: le chef mafieux Alaattin Çakici, proche des services secrets turcs, remis en liberté après 16 ans de détention) sont libérés par le même pouvoir.
Un autre jour, on apprend qu’un jeune réfugié kurde (Resul Ozdemir qui a survécu aux massacres de Cizre de février 2016, et condamné à près de 15 ans de prison par la « justice » turque) est remis à la Turquie par la Suède alors qu’il est qualifié de « terroriste » et qu’il risquait également d’être torturé une fois livré à la Turquie.
Il y a tant d’horreurs de ce genre subis par les Kurdes au quotidien, comme si cela était leur destin forcé et qu’on a beau se battre avec acharnement, que cela ne changera rien car nous sommes un peuple apatride laissé à la merci des quatre Etats colonialistes occupant le Kurdistan qui ont le soutien total de l’OTAN, de l’ONU et des puissances occidentales.
Mais nous les Kurdes, têtus que nous sommes, on a dû mal à nous habituer à un tel « destin ». On continue de se lever chaque jour pour reprendre la lutte où on l’avait laissée la veille car nous sommes persuadés que nous aussi, nous méritons de vivre libres comme tous les autres femmes et hommes sur cette terre, sans nous plier devant des bourreaux, qu’ils aient le visage d’Etats et/ou du patriarcat. Qu’importe toutes les larmes qu’on verse, en plus de celles qu’on ravale, à cause de tant de souffrances et qu’importe notre solitude centenaire où seules les montagnes nous serrent encore dans leurs bras…
Keça Bênav (la fille sans nom)